Le centrage c’est presque simple (suite)
Thierry Platon

19/05/2007

Nombre de lecteurs de la première partie de cet article (voir Planet Soaring septembre 2006) se sont sans doute demander quel pouvait bien être l’intérêt de développer autant de formules pour calculer avec précision la position du foyer d’un planeur. Régler finement le centrage d’un planeur ne nécessite en effet que quelques vols d’essai et aucun calcul. Alors pourquoi autant d’équations ?

La réponse est simple mais pourra surprendre: savoir calculer le centrage avec précision permet de concevoir et de construire des planeurs plus léger !

Construisez plus léger

Rien n’est en effet plus désagréable que de s’évertuer à construire un planeur le plus léger possible en utilisant les techniques les plus pointues et en économisant le moindre gramme, pour en final introduire 50g, 100g, 200g, …ou même beaucoup plus, de plomb dans le nez de notre nouvelle création afin d’obtenir le bon centrage.

Pour éviter ce genre de mésaventure ma méthode consiste à ne fixer définitivement la géométrie du planeur,  et en particulier la position longitudinale de l’aile sur le fuselage, qu’en toute fin de construction, lorsque fuselage et aile sont déjà aménagés et que la masse et le centrage de chacun de ces éléments peuvent être mesurés. Il est ainsi possible de jouer sur la position de l’aile sur le fuselage (en l’avançant ou en la reculant un peu) et sur l’aménagement intérieur (position batterie, position servos, …) afin que le centre de gravité du planeur complet corresponde à la position prévue du CG pour le centrage et le comportement souhaité. Cette démarche demande bien évidemment de savoir correctement prédire la position de ce point de centrage. Le réglage définitif se fera en vol, il suffira alors, soit de jouer sur la position de la batterie, soit de conserver très peu de plomb, pour obtenir le centrage et le comportement qui vont bien. Un planeur bien conçu ne contient donc pas de plomb ou tout au plus 2 à 3% grand maximum. Volez sans plomb, c’est plus écologique !           

Le problème est donc de savoir de calculer ce fameux « centrage qui va bien » avec le minimum d’erreur.

Malheureusement je n’ai jamais trouvé dans la littérature modéliste ou sur le Net une formule ou un logiciel de calcul donnant la position du foyer d’un planeur avec une précision correcte. Les valeurs calculées sont toujours beaucoup plus arrière que ce que l’on peut mesurer dans la réalité sur des planeurs ayant pourtant un comportement parfaitement neutre (et donc a priori centrés au foyer).   C’est pourquoi j’ai pendant longtemps utilisé comme valeur prévisionnelle de la position du foyer, une valeur forfaitaire issue de l’expérience et correspondant à environ 40% de la corde moyenne. Compte tenu de géométries globalement semblables, cette recette de cuisine m’avait permis de construire mes 3 derniers planeurs sans un seul gramme de plomb. Elle n’a malheureusement pas parfaitement fonctionnée dans le cas SYMETRIX  dans lequel j’ai dû, à mon grand regret, ajouter 280g de plomb ! Ces 280g me sont restés sur l’estomac, et c’est pour me libérer de ce poids que j’ai cherché à mieux comprendre les mystères du centrage.

Marge statique et choix du « bon centrage »

La première partie de cet article avait permis de présenter les formules de calcul du foyer d’un planeur (point de stabilité neutre). La connaissance de la position de ce point ne suffit cependant pas à définir « le bon centrage », il faut également choisir une valeur de marge statique cohérente avec le comportement souhaité en vol.

La marge statique M est une grandeur sans dimension qui caractérise la position relative du Centre de Gravité (CG) par rapport à celle du Foyer (F)

    avec    distance BA-Foyer ,   distance BA-CG  et  C corde aérodynamique moyenne

La marge statique M est directement liée à la stabilité du planeur (c’est à  dire à son comportement lorsqu’on l’écarte de sa position d’équilibre) et donc à son comportement dynamique et au confort de pilotage.

Certains aiment les planeurs très neutres.  Dans ce cas on choisira une valeur de marge statique nulle (M=0). Ce réglage est souvent recherché à la pente et en voltige :

D’autres préfèreront un planeur plus stable et légèrement centré avant. Ceci  est particulièrement le cas pour le vol thermique en plaine et sur les machines de vol à voile.

Expérimentalement on constate que, par rapport à un planeur réglé neutre (M=0), ce réglage correspond à un CG plus avant d’environ 3 à 5%. M = 10% donne un centrage déjà très avant et semble  un maximum à ne pas dépasser (planeur lourd à la profondeur, remontant nettement dans le test du piqué). A moins de goûts particulièrement exotiques on évitera bien sûr les centrages en arrière du  foyer (M<0),

Un planeur à profil symétrique centré parfaitement neutre vole sur le dos sans avoir besoin de  pousser sur le manche !

Quelques remarques …

1)         On notera que les valeurs de marge statique préconisées ici sont plus faibles que celles habituellement recommandées dans la littérature modéliste. Cet écart tient essentiellement au fait que les formules classiques situent le foyer beaucoup plus en arrière que sa position réelle. Je pense que cette erreur est en partie due au fait que la portance du fuselage est négligée. Or la surface projetée du fuselage est souvent du même ordre de grandeur (et bien souvent supérieure) à celle du stab, la portance correspondante n’est donc pas vraiment négligeable. Ceci est d’autant plus vrai, qu’en fonction de la forme du fuselage, le point d’application de cette portance se trouve le plus souvent assez en avant du foyer de l’aile.

 Une autre source d’erreur est probablement liée aux nombreuses approximations que suppose le calcul de l’interaction du stab avec le sillage de l’aile. C’est sans doute pour contourner ces imprécisions dans le calcul du foyer que les démarches usuelles préconisent (et parfois imposent) une marge statique d’au moins 5% à 8%  avec des valeurs maximales pouvant aller de  15%  à 30% !!!   Un choix reste ainsi à faire sur une large plage de valeur et en final beaucoup de flair reste nécessaire pour faire le bon choix.  

2)         Vous aurez remarqué qu’il n’a jamais été question ici de tenir compte du Cz de vol pour calculer le centrage d’un planeur. Pourtant certains auteurs recommandent de centrer un planeur au Centre de Poussée de l’aile en calculant ce CP pour le Cz de vol souhaité. Cette façon de faire est censée optimiser la traînée du modèle car le stab n’est alors ni porteur ni déporteur.

Sur les planeurs de gratte purs, avec des profils et des géométries classiques et si le Cz de calcul est choisi au milieu de la plage de vol, les valeurs obtenues sont relativement correctes. Mais cette approche ne donne absolument aucune garantie sur la stabilité du modèle, les résultats peuvent donc être complètement aberrants pour des modèles faisant autre chose que du vol à plat ou ayant des géométries moins « standards » (planeurs de voltige, F3B, F3F, F3K, profils symétriques, volume de stab différent des valeurs classiques,…).

Les calculs basés sur le Cz de vol et le Cm de l’aile ne tiennent absolument pas compte de la surface du stab ; en fonction du point de vol choisi et du Cm0 du profil le CG calculé pourra alors se trouver soit très en avant, soit très en arrière du foyer du planeur dont la position est essentiellement déterminée par le volume de stab. On pourra alors obtenir soit un planeur beaucoup trop stable (choix d’un Cz de vol trop élevé ou profil à faible Cm0, cas du Voltij par exemple), soit au contraire instable (faible Cz de vol et Cm0 élevé). Or c’est bien avant tout la stabilité que le pilote cherche à régler lorsqu’il centre son planeur.

Pour ce qui concerne l’influence du centrage sur la traînée globale du planeur, rappelons que Matthieu Scherrer a démontré que le postulat « centrage à Cz stab nul = meilleure perfo » était loin d’être vérifié. Pour calculer avec précision la finesse globale d’un planeur il faut en effet tenir compte de la portance du stab et de son interaction avec le sillage de l’aile …En conclusion on suivra les sages conseils de Matthieu : le bon centrage d’un modèle  est celui qui donne le meilleur sentiment de confort à son pilote pour le type de vol envisagé.

3)         Dans la vraie vie la position du foyer n’est pas parfaitement fixe. En vérité les profils ne se comportent pas suivant des lois parfaitement linéaires et indépendantes du Reynolds (les courbes Cz(α) ou Cm(α)  ne sont pas des droites parfaites). Sur beaucoup de planeurs ces mouvements du foyer sont faibles et quasiment imperceptibles dans le domaine de vol normal, il n’en est pas toujours ainsi (voir le Nimbus 4D Hmodel dont il a été question il y a quelque temps sur la liste). Ce type de comportement imposera de prendre une marge statique un peu plus généreuse qu’à l’habitude.

Fichier de calcul

Le fichier Excel centrage joint à cet article est une tentative pour améliorer la précision des calculs de centrage. Il utilise les formules décrites en première partie de l’article (septembre 2006) et permet de prendre en compte toutes les corrections liées à la portance du fuselage, au sillage de l’aile, ou aux variations de Cm et de Czα. Il suffit de saisir les données géométriques du planeur dans les cases jaunes, de choisir une marge statique souhaitée (de M=0% à M=5%), et de lire le résultat dans les cases bleues (position du foyer, point de centrage pour la marge statique souhaitée, V longitudinal,…).        

Les cellules oranges contiennent des constantes aérodynamiques dont les valeurs ont été optimisées sur la base de mesures réalisées sur une vingtaine de planeurs différents allant du Crobe ( icro-planeur de  63 cm d’envergure), au Foka de plus de 6m, en passant par divers 60 pouces et planeurs de voltige entre 2 et 4m50 d’envergure. On évitera donc de changer ces constantes au risque d’obtenir des résultats moins précis. Il reste cependant possible de les ajuster, ceci permettra :

-         soit de se faire une idée des variations de position du foyer en cas de non linéarité  de certains de ces paramètres (variations de dCz/dAlpha ou de dCm/dAlpha)

-         soit de rechercher des jeux de valeurs plus pertinents (coefficient de sillage k, portance fuselage Afus, ou position foyer fuselage Xfus).

On notera que, lors de la mise au point de ce fichier de calcul, je suis arrivé aux mêmes conclusions qu’Helmut Quabeck concernant la représentativité d’X-foil (voir http://www.hq-modellflug.de/theory.htm). Lorsqu’on utilise les valeurs de dCz/dAlpha relevés sur X-foil, le résultat des calculs de foyer sont moins bons que lorsque l’on utilise la valeur classique donnée par la théorie linéaire dCz/dAlpha=0.11 . Il semble donc qu’X-foil exagére certains effets non linéaire, il n’est pas conseillé de reporter les valeurs de dCz/dAlpha relevées sur X-foil dans le tableau.

           

Nota1 : A ce jour ce fichier peut être considéré comme validé. La qualité des prévisions pour les planeurs à stab en croix ou en V est en général très bonne (en moyenne meilleure que 1% de la CAM). La précision semble un peu moins bonne pour certains planeurs à stab en T dont le bras de levier arrière est relativement court par rapport à l’envergure. Certains paramètres des calculs de sillage pourraient donc être modifiés dans une prochaine mise à jour.

Nota 2 : Cette démarche de calcul a été intégrée par Franck Aguerre dans son  logiciel de conception PrédimRC (à partir de la versionV.2.0). Ce logiciel permet désormais de calculer le centrage avec une fiabilité satisfaisante. Il présente le très gros avantage de fournir une représentation de la géométrie du modèle ce qui permet de vérifier facilement que l’on a pas fait d’erreur de saisie.

V longitudinal et calage

Le fichier centrage permet également d’estimer le V longitudinal à mettre sur le planeur. Le principe de ce calcul est le suivant :

Par habitude j’adopte toujours a priori un Vlongitudinal calculé pour une marge statique nulle. Le calage de l’aile est un paramètre nettement moins fondamental que le V longitudinal ou la position du CG.  En effet, dans la mesure où le centrage et le V longitudinal sont correct, le calage de l’aile ne joue que sur l’incidence du fuselage et donc d’une façon assez marginale sur la traînée globale du planeur (sauf choix de valeurs vraiment exotiques). Ce calage n’est donc pas calculé dans le fichier.

Construire sans plomb

Comme  indiqué en introduction, savoir calculer avec précision le centrage d’un planeur permet de concevoir et de construire plus léger. Voici la description détaillée de la méthode que j’utilise pour éviter (ou limiter) le lest de centrage dans mes planeurs. Il s’agit d’ajuster la distance LAV entre le nez du fuselage et le bord d’attaque de l’aile,  de façon à ce que le centre de gravité  du planeur coïncide avec le point de centrage prévu.

Dans un premier temps la position de l’aile sur le fuselage est définie de façon grossière lors du design initial. Une marge d’ajustement doit impérativement être prévue car la position définitive de l’aile ne sera fixée que bien plus tard lors du montage. La marge statique étant choisie (M=0% ou M≈3 à 5%  au goût du pilote selon le type de vol envisagé), le fichier de calcul permet de calculer XCG la position du CG par rapport au bord d’attaque de l’emplanture. Les opérations se poursuivent ensuite lorsque l’aile et le fuselage sont aménagées (éventuellement de façon provisoire) avec servos, accu, AF,…Il faut en effet pouvoir mesurer la masse et la position du centre de gravité de chacun de ces éléments.

 

Un petit calcul de barycentre permet de définir Lav :

La distance LAV entre le nez du planeur et le bord d’attaque étant maintenant connue précisément, il est possible de percer le passage du fourreau de clé d’aile et réaliser la mise en croix.

Mesurer le centrage

La construction d’une balance pour mesurer le centrage est extrêmement simple : une planche d’aglo mélaminé, 2 bouts de cornière, 2 chutes de ½ rond et 2 bouts de double décimètre. Pour le montage les photos seront plus explicites qu’un long discours…  2 astuces sont cependant à noter:


Centrage pour le premier vol

Un premier vol nécessite quelques précautions vis-à-vis du centrage. Il est raisonnable  de mettre un peu de plomb dans le nez du planeur de façon à avoir une marge statique légèrement  positive (3 à 5%).

Nos planeurs ayant souvent un foyer situé vers 35% à 40% de la corde moyenne le centrage pour le premier vol  pourra se situer vers 30% à 35%.  Et on retrouve là une vieille recette bien connue !

Les premiers vols permettront d’ajuster le centrage définitif qui donnera confort et performance. Avec un peu de chance (mais on l’aura tout de même pas mal aidée !) il n’y aura plus de plomb du tout dans le planeur une fois le bon réglage obtenu. Ce n’est qu’après avoir réglé le centrage que l’on ajustera si nécessaire le calage du stab pour avoir un volet de profondeur parfaitement en ligne avec le reste du stab.


BONS VOLS A TOUS….

Avec mes remerciements  aux pilotes qui m’ont fait parvenir les données de leurs planeurs pour la validation du Fichier centrage. Et plus particulièrement : Matthieu Scherrer, Frédéric Frébeaud, Daniel Van Ingelgem, Jean-Luc Delor, Franck Aguerre, Mathieu Claveau.

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